Rechercher les meilleures complémentarités possibles entre l’homme et les machines : voilà qui représente, selon la plupart des experts, le grand enjeu des années à venir dans le monde industriel. D’où le développement de la cobotique, qui n’a pas vocation à remplacer purement et simplement la robotique “classique”, mais en constitue une évolution naturelle.

Le néologisme viendrait du concept de Cooperative Robotics. Apparu à la toute fin des années 90, la cobotique désigne un dispositif robotique conçu, fabriqué et utilisé pour interagir avec un opérateur humain. On parle donc de cobot, par opposition avec un robot « classique » fonctionnant de façon totalement autonome. Les spécialistes de cette discipline encore récente et relativement prospective s’accordent généralement à dire que deux principales familles de systèmes entrent dans le champ de la cobotique.

Ce terme est d’abord employé lorsqu’une machine travaille dans un atelier en présence d’humains, sans protection particulière (alors que dans les usines, les robots “classiques” sont généralement entourés de grillages). Ces machines détectent la présence humaine, ce qui est intéressant en termes de sécurité, mais elles ne travaillent pas en interaction directe avec l’homme. Thales Alenia Space vient ainsi de s’équiper d’un cobot baptisé Cratos (Collaborative Robot Addressed To Operative Solutions). Installé au sein de l’usine de l’Aquila, dans le centre de l’Italie, il assemble et colle des composants de satellites. Il le fait à côté du personnel, sous sa surveillance et sans aucune barrière physique. Thales Alenia Space estime, qu’à terme, la durée des opérations d’assemblage sera divisée par quatre et l’ensemble du processus de production par dix.

Un écosystème de technologies innovantes, avec beaucoup d’intelligence artificielle

Là où la cobotique change encore plus la donne, c’est lorsque la machine travaille véritablement avec l’humain qui la pilote et/ou est aidé par elle.

« On assiste actuellement à l’émergence des technologies qui permettent cette collaboration, constate Théo Moulières-Seban, qui vient de soutenir une thèse de doctorat intitulée “Les interactions homme-robot pour la cobotique industrielle” et d’être embauché par ArianeGroup* pour travailler sur le sujet. Nous voyons arriver de nouvelles générations de capteurs et d’actionneurs, des joysticks et des manettes “haptiques”, c’est-à-dire capables de restituer à l’utilisateur, en temps réel, les efforts captés par la machine… Le pilotage devient de plus en plus précis. »

Dans tout cet écosystème de technologies, il y a évidemment beaucoup d’intelligence artificielle (IA). Ce sont les progrès des algorithmes qui permettent aux machines, notamment, de s’adapter aux imprévus, là où un système robotique classique interromprait son activité et attendrait une intervention humaine pour repartir. Et c’est aussi l’IA qui rend possible des prouesses en matière d’assistance au geste : on parle alors d’exosquelettes et ceux-ci peuvent, entre autres, décupler la force de l’homme sans le fatiguer.

L’avenir de l’automatisation industrielle

Forte des avancées actuelles et à venir, la cobotique commence à faire son chemin dans l’univers industriel. Elle représente une voie prometteuse d’amélioration de la productivité, de protection de la santé et de la sécurité des opérateurs ou encore de réduction de la pénibilité des tâches, mais elle permettra d’ouvrir des postes de travail à des personnes qui n’en ont pas la capacité du fait de leurs caractéristiques physiques, de leur âge ou d’un handicap.

Si les applications sur les lignes de production en sont encore au stade des prototypes, il faut s’attendre à les voir se développer de façon soutenue dans les années à venir. Ainsi, c’est parce qu’ils voient dans la robotique collaborative l’avenir de l’automatisation industrielle que le groupe helvético-suédois ABB et le Japonais Kawasaki Heavy Industries ont annoncé, fin novembre, qu’ils travailleraient désormais ensemble sur le sujet. Et, dans la foulée ce cette annonce, les deux constructeurs ont présenté un premier cobot industriel commun, muni de deux bras.

Quand la machine assiste l’homme

« Le CEA* et plusieurs des startups issues de dispositif d’incubation développent actuellement tout un savoir-faire en matière de cobotique, notamment autour de la manipulation de pièces, signale Théo Moulières-Seban. L’idée générale est que la machine assiste l’homme. Cela peut consister à manutentionner sans forcer un objet lourd, en évitant les chocs, ou à tenir un outil en absorbant les efforts et les vibrations. Cela peut également consister à présenter la bonne pièce, au bon endroit et au bon moment, à l’opérateur, qui n’a plus qu’à se concentrer exclusivement sur son geste technique. »

«  La cobotique est l’une des technologies qui nous fait basculer dans l’industrie 4.0 », estime Guy Caverot, directeur de l’innovation et de la robotique de BA Systèmes. Cette entreprise rennaise a présenté tout récemment le premier cobot mobile européen, imaginé en partenariat avec le CEA et d’autres sociétés partenaires dans le cadre du projet P-RC2, dont l’objectif est de développer un logiciel pour l’usine du futur.  « Mais, contrairement à une idée répandue, il ne s’agit pas d’éliminer l’homme de la chaîne de production, précise Guy Caverot. Les capacités humaines sont justes augmentées par les cobots. »

Des enjeux de formation et d’organisation

Avec la montée en puissance de la cobotique, les métiers de la production industrielle sont amenés non pas à disparaître, mais à se transformer en profondeur. « Par exemple, quand un opérateur supervisera trois machines au lieu d’en piloter une seule, il pourra être sous-employé à certains moments et crouler sous la charge de travail lors de phases critiques, explique Théo Moulières-Seban. En termes de formation et d’organisation, tout cela doit évidemment s’accompagner. »

Aux côtés d’autres industriels parmi lesquels Dassault Aviation et Renault, Arts et Métiers ParisTech a créé en 2016 ColRobot, un mastère spécialisé en robotique collaborative. Objectif : former des professionnels capables d’intégrer cette nouvelle approche dans les entreprises.

« Il faut maîtriser à la fois l’état de l’art de la mécatronique, l’utilisation des algorithmes et l’intégration de l’homme dans l’usine, souligne Richard Béarée, directeur du programme ColRobot. Ce dernier point implique de considérer des notions d’acceptabilité qui relèvent de la sociologie et de l’anthropologie. »

À la croisée de la technique et de l’humain

Le développement de la cobotique n’est pas seulement une affaire d’ingénieurs en informatique, en robotique et en automatisme. Loin de là. Cette discipline met également à contribution des médecins, des physiologistes et autres spécialistes des sciences humaines. Au sein du groupe Safran, où la cobotique et l’articulation homme/machine font l’objet d’un programme de recherche appliquée depuis 2014, ce sont un roboticien, un ergonome et un cogniticien (spécialiste de l’intelligence humaine et artificielle) qui développent ensemble de nouveaux concepts. Ceux-ci sont approfondis et expérimentés sur les lignes de production d’ArianeGroup, qui cherche notamment à s’appuyer sur la cobotique pour améliorer les postes de travail des opérateurs. Parallèlement, au sein de Safran Aircraft Engines (ex Snecma), un atelier d’innovation industrielle dédié aux recherches technologiques sur l’usine du futur expérimente des cobots.

Encore cher, mais…

Compte tenu des coûts que représentent tous ces travaux de recherche appliquée, la question du retour sur investissement est cruciale. Mais elle ne devrait pas représenter un frein au développement des solutions cobotiques. En s’industrialisant, celles-ci vont devenir de plus en plus abordables. Beaucoup d’experts considèrent aussi que si les cobots coûtent plus cher que les robots à l’achat, ils sont aussi plus polyvalents, plus évolutifs et plus aisés à reprogrammer.

En tout cas, et sans chercher à opposer de façon trop simpliste robotique classique et robotique collaborative, on peut affirmer que la principale problématique des années à venir n’est pas de remplacer l’homme, mais surtout de travailler avec lui. Selon une étude de l’OCDE (2016) moins de 10 % des fonctions peuvent être entièrement automatisées.

« Tout est dans le “entièrement”, souligne Théo Moulières-Seban. Car dans la grande majorité des métiers susceptibles d’être transformés par la robotisation, il y a une part du travail qui est laissée à l’homme car il serait très coûteux (voire impossible) de la confier à des machines. Cela signifie qu’en termes de rapport coût/performances générales, il sera toujours plus intéressant d’intégrer une part d’humain dans les processus que de tout robotiser. »



* Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives.

** Joint-venture de Safran et d’Airbus dédiée au lancement de fusées.

La cobotique, clé de l’entrepôt logistique 4.0

La cobotique, la perspective d’une robotisation raisonnée du secteur logistique ? C’est qu’entrevoit Jean-Yves Costa, directeur adjoint de Hardis, groupe français spécialisé dans les services numériques aux entreprises.

« Contrairement à certains discours très pessimistes, les emplois ne seront pas tous supprimés au bénéfice des robots, estime-t-il*. Les solutions digitales et les technologies de pointe, de plus en plus intégrées aux entrepôts, devraient au contraire séduire les jeunes générations et apporter une sorte de second souffle aux métiers de la logistique, qui souffrent aujourd’hui d’un déficit d’image. »

Cet expert souligne, par ailleurs, que le développement de la cobotique « s’attache à automatiser et à rendre plus ergonomique le poste de travail pour augmenter la productivité, diminuer la pénibilité et limiter les tâches répétitives et/ou à faible valeur ajoutée pour les opérateurs. (…) Les opérations récurrentes et pénibles sont confiées aux robots, tandis que les opérateurs réalisent des tâches à plus forte valeur ajoutée. »

* lesechos.fr, novembre 2017.

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