Qu’en est-il des perspectives d’emploi dans le secteur industriel ? Quelle image les usines renvoient-elles aujourd’hui auprès des jeunes ? Comment y attirer les talents ? Comment montrer que la robotisation est avant tout synonyme d’opportunités et de qualité de vie au travail ? Autant de questions abordées de façon très pragmatique lors d’une conférence organisée à Nantes, le 6 juin, par Randstad Inhouse.

« Quand j’entends industrie, je pense processus de fabrication, travail à la chaîne, tâches répétitives et épuisantes. »



«Tout dépend du secteur d’activité, du métier, du salaire aussi. »

 

«L’industrie ? Ça ne me parle pas du tout. »

Ces quelques témoignages de jeunes, pris sur le vif, sont éloquents. Ils synthétisent le regard que porte leur génération sur l’univers industriel. Une perception que Benjamin Chaminade, expert RH & innovation, connaît bien. Cet ancien “change manager” a débuté son parcours professionnel sur un site industriel australien. Il y travaillait sur les applications médicales du nucléaire. « Le job semblait si peu attractif que j’avais été le seul à postuler », confie-t-il pour lancer les débats de la conférence organisée sur les jeunes et l’industrie à Nantes, le 6 juin, par Randstad Inhouse. Constatant combien les problématiques d’attractivité et d’engagement se révélaient cruciales, Benjamin Chaminade s’est fait une spécialité d’aider les entreprises industrielles sur le sujet. D’abord en Australie et en Malaisie, puis en France où il intervient notamment pour les organisations professionnelles de la métallurgie, de la plasturgie et de la chimie.

L’industrie peine à satisfaire ses besoins en main-d’œuvre…

Les chiffres qu’il mentionne sont éloquents, notamment ceux de l’enquête “Besoin de main-d’œuvre” de pôle emploi, selon lesquels les besoins de recrutement du secteur industriel augmenteront de 14,8 % en 2019, soit l’équivalent de 350 000 emplois.

« 45 % sont proposés en CDI, 20 % en CDD de plus de 6 mois et 36% en emplois saisonniers, souligne l’expert. Mais, au regard des chiffres 2018, on sait déjà que 54 % de ces emplois ne seront pas pourvus, et que 85 % des entreprises de l’industrie seront touchées. »

Selon la DARES, ce secteur est aujourd’hui le deuxième qui peine le plus à recruter en France, juste derrière l’hôtellerie et devant le développement informatique. Pourquoi ? Benjamin Chaminade met en cause une pénurie de compétences liée à un problème de formation, mais aussi une absence de motivation due à un certain nombre de préjugés.

… et les jeunes ont du mal à se projeter dans l’industrie

C’est un fait : « Il existe un décalage entre les aspirations des jeunes et ce qu’offrent les métiers », note Guy Letertre, directeur territorial de pôle emploi en Loire-Atlantique (département qui affiche la plus forte hausse de besoins d’emplois en 2018). Il relativise néanmoins le constat : si des opinions négatives sont exprimées, en particulier sur les conditions de travail, l’industrie est également synonyme de technologie, de qualification et de formation. Selon lui, des transformations profondes s’opèrent actuellement : « Durant des décennies, on a pu facilement se repérer en termes d’orientation professionnelle. Puis, les métiers ayant successivement laissé la place à des fonctions et à des missions aux contours souvent assez flous, les jeunes ont commencé à avoir des difficultés à se projeter. » Face à ces évolutions, pôle emploi a entrepris de changer radicalement sa manière de penser. « Pour rapprocher les profils et les offres d’emploi, nous ne raisonnons plus en termes de métiers, mais de compétences », indique Guy Letertre.

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Un enjeu d’attractivité et de marque employeur

Autre réalité : à l’heure où tous les secteurs connaissent des difficultés de recrutement, et face à ce que Guy Letertre appelle un « océan de candidatures et d’offres », les entreprises industrielles doivent redoubler d’efforts pour se faire connaître et développer une marque employeur différenciante. Benjamin Chaminade le confirme. Pour lui, la marge de progression sur ce sujet est réelle. « Il y a deux jours, alors que j’intervenais en Picardie auprès de dirigeants du secteur chimique, je leur ai demandé s’ils avaient des articles ou des témoignages vidéo de salariés. Réponse ? Aucune des 300 entreprises n’y a pensé. »

Gaëtan Deffrennes, directeur général de Randstad Inhouse, ne s’en étonne guère : « Travailler sur son image requiert des moyens dont toutes les entreprises ne disposent pas. » Néanmoins, il observe que la situation évolue dans le bon sens : « La France accuse encore du retard face à l’Allemagne. Les parents allemands, notamment, encouragent volontiers leurs enfants à faire carrière dans l‘industrie, ce qui plus rarement le cas de ce côté du Rhin. Mais l’industrie française multiplie les initiatives pour redorer son image et développer son attractivité. »

« Témoignages à l’appui, nous démontons les clichés »

DRH de la Division MHA du Groupe Manitou (1), Michel Rodrigues explique comment son groupe s’est attaqué concrètement à ce problème. « Depuis deux ans, avec des membres de l’équipe RH et des opérationnels, nous nous rendons régulièrement dans des lycées professionnels et dans différents types d’écoles, y compris de commerce. Témoignages à l’appui, nous démontons les clichés et nous mettons en valeur la variété des métiers qu’offre notre industrie : commercial, financier, marketing… Nous évoquons les possibilités de mobilité en interne, les perspectives de carrière, les avantages et, bien sûr, les salaires attractifs, largement supérieurs au Smic pour les opérateurs de production. »

Michel Rodrigues estime pertinent, également, de montrer qu’une entreprise comme Manitou, notamment grâce aux nouveaux équipements, propose des métiers accessibles à tous et à toutes, « hommes ou femmes, petits ou grands, costauds ou pas… ».

Parler aussi aux parents et privilégier les actions de terrain

Pour ce DRH, s’il est indispensable de faire passer les messages auprès des élèves, il y a également lieu de sensibiliser les professeurs et les parents. Benjamin Chaminade indique d’ailleurs que la marine américaine, confrontée à des difficultés de recrutement, a créé le site Navy for Moms, permettant, en quelques mois, d’embaucher 700 nouveaux marins grâce au bouche-à-oreille entre mères. Le directeur territorial de pôle emploi en Loire-Atlantique confirme que de nombreux jeunes s’orientent à partir d’avis recueillis par leurs parents. Si Guy Letertre y voit une piste intéressante, il insiste néanmoins sur l’importance des actions de terrain : « Nous encourageons les entreprises à ouvrir leurs portes, à développer les immersions professionnelles et toutes les approches qui permettent aux jeunes de se faire une idée concrète de leur futur environnement professionnel. » « Faire parler des collaborateurs, les inviter à témoigner sur la réalité de leur quotidien, sur les évolutions de leurs métiers, les perspectives qui s’ouvrent à eux : tout cela est réellement vendeur, rebondit Michel Rodrigues. En revanche, nous percevons les limites des campagnes de presse. Nous constatons qu’à moins d’être très ciblées, les opérations organisées sur les réseaux sociaux professionnels donnent de piètres résultats. »

Expliquer de façon concrète les évolutions à venir

Quid des enjeux de l’industrie du futur (usine 4.0, digitalisation, robotisation…) ? Comment rassurer les salariés actuels et futurs qui peuvent craindre que l’automatisation tous azimuts les mène au chômage ? Gaëtan Deffrennes estime que les perspectives sont encore très floues pour la grande majorité des acteurs. « Il faut simplifier l’approche et rendre les choses les plus concrètes possibles », insiste-t-il. Michel Rodrigues partage cet avis. Selon lui, il est indispensable de faire preuve de pédagogie et de briser certaines représentations, souvent fausses, en particulier sur la question des suppressions d’emplois. « Chez Manitou, nous avons un parc de 45 robots et nous continuons à embaucher. La logique est d’assister les collaborateurs, hommes ou femmes, pour faire en sorte qu’ils n’aient plus rien de lourd à porter. Si nous investissons, c’est pour faciliter leurs tâches et pérenniser leur présence. Pour preuve : nous affichons un turn-over nul. Personne ne démissionne chez nous, ni les opérateurs ni les salariés des bureaux. »

Gaëtan Deffrennes souligne aussi que pour attirer les millennials vers les métiers de l’industrie, il faut leur donner de solides garanties sur la qualité de vie au travail, ainsi que sur le temps dont ils disposeront pour leurs activités personnelles. Il faut savoir que l’ambiance de travail se situe à la deuxième place des principaux critères recherchés par les salariés français.

Proposer un avenir commun pour fidéliser les opportunistes

Il est un autre enjeu que pointe Guy Letertre : la capacité de l’entreprise à répondre aux désirs d’évolution des jeunes. « Si l’employeur ne parvient pas à démontrer qu’un avenir commun est à construire, le salarié ne tardera pas à s’en aller », prévient-il. Pour étayer cette affirmation, le directeur territorial de pôle emploi cite une série de chiffres illustrant à quel point le marché du travail est aujourd’hui volatil. « Chaque année, ce sont 45 millions d’offres d’emplois qui sont proposées, d’une durée de un jour à indéterminée, explique-t-il notamment. Face à tant d’opportunités, les jeunes sont devenus, assez logiquement, opportunistes… »

« Le marché est certes de plus en plus précaire et volatil, et même chez les millennials, 9 intérimaires sur 10 continuent à chercher un CDI, note Gaétan Deffrennes. C’est ce qui explique l’énorme succès rencontré par le CDI intérimaire, un type de contrat que nous proposons depuis quatre ans. 90 % des ruptures de ces CDI-I sont dues à une embauche par le client, pour qui cette voie est devenue la passerelle d’embauche privilégiée. »

 

 



(1) ETI familiale cotée en bourse, leader mondial des chariots de manutention tout-terrain, 3 900 salariés, dont 1 500 basés à Ancenis (Loire-Atlantique), berceau historique de l’entreprise.

 

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